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Les Métamorphoses du Vide (Mythe ou logique_2)

Les métamorphoses du vide

 

            Changer, se transformer, se métamorphoser, voilà des actions qui jadis étaient l’apanage de quelques privilégiés triés sur le volet.

Protée, vieille divinité marine qui gardait les troupeaux de phoques de Poséidon, était harcelé par ceux qui voulaient connaître l’avenir : le pauvre vieillard avait en effet le don de divination. Pour qu’on lui fiche la paix, il pouvait prendre la forme physique qu’il voulait. Il échappait ainsi, parfois, à ses poursuivants. Il nous a laissé l’adjectif protéiforme, qui signifie ‘prendre les formes les plus variées’.

Mais le meilleur, c’était Jupiter, l’infatigable séducteur. Il sut mieux que quiconque se grimer pour arriver à ses fins : il fut un taureau blanc aux yeux d’Europe, une pluie d’or pour Danaé, il devint un coucou (oui, ce volatile qui squatte le nid des autres) pour se glisser sous la tunique d’Héra, il se fit brouillard pour enlacer Io.

La métamorphose était donc un art utile à ceux qui voulaient fuir ou à ceux qui voulaient séduire. De nos jours, c’est devenu un travers, une propension à laquelle de nombreux hommes politiques se laissent aller, et parmi eux, il existe un champion toute catégorie, un spécimen qui ne pouvait que retenir l’attention d’un roumégeur comme moi.

Tremblez Jupiter et autre Protée, un rival incommensurable s’apprête à gravir les pentes de l’Olympe pour vous disputer le titre de meilleur transformiste.

            Il faut dire que la première métamorphose annoncée, l'originelle, date du début de la campagne électorale de cet iconoclaste : col roulé, tenue sobre, Mont Saint-Michel en arrière-plan et première promesse (intenable comme les autres) : « J’ai changé !» déclamait-il, d’un air des plus naturels, désarmant de naïveté. Sous-entendu : « Oui, peuple de France, je ne suis plus qui j’étais, j’ai su modifier mon moi profond, je suis enfin digne de vos suffrages. »

Comme si, en l'état, cet homme n'avait aucune chance d’être élu, comme s'il fallait modifier en profondeur son apparence pour atteindre le Graal tant recherché. D’anciens présidents avaient fait limer ses dents, jeté leurs lunettes, lui avait changé le timbre de sa voix pour le rendre plus grave, plus suave, plus consensuel, plus rassurant. Il avait aussi tenté de gommer tous ses tics nerveux, qui font pourtant partie de son être.

Que d'efforts pour paraître, pour se nier soi-même, pour taire son essence même. Mais comme dans le livre d'Oscar Wilde, il doit bien exister quelque part un tableau qui garde les traits de sa vraie personne, un Dorian Gray enlaidi par les années et les vilenies, les mensonges et les revirements.

            Ce tableau c'est nous. Ce peuple qui l’a élu (ou subi) et qui a depuis entendu tant de fariboles, de fables, de retournements, de voltefaces, de virages à 360°. Oui, nous avons été les témoins des plus beaux exemples de métamorphoses modernes connus, à faire pâlir d’envie Jupiter et Protée réunis.

Rappelez-vous l’accueil réservé à un dictateur sanguinaire à qui nous devions fourguer des avions de combat. Rappelez-vous cette tente, installée dans un jardin parisien qui accueillit une foule féminine convoquée pour écouter un discours de sa majesté des dunes. Rappelez-vous la réaction de dégoût de la secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme. Et songez que quelques années plus tard, ce même président alla se féliciter de la mort du dictateur qu’il avait si généreusement accueilli. Oui, nous parlons de la même personne, étonnant, non ?

Quel changement !  Oseriez-vous croire qu’un président intègre puisse être à la fois pour et contre la retraite à 60 ans, la TVA sociale, le Grenelle de l’environnement ? Il y a du Janus dans cet homme, dans ce lecteur de discours qui ne semble pas comprendre ce qu’il dit.

Il s’agissait donc d’une stratégie politique pour s’emparer du pouvoir : faire croire à la métamorphose pour séduire, une fois élu, on verrait bien. La ficelle semble grossière, mais a bien marché pendant des années, il suffit de relire certains discours pour s’en convaincre. Faire l’éloge du curé, détruire l’instituteur pour le lendemain porter aux nues le rôle de ces hussards noirs de la République que sont les enseignants. Dézinguer ces privilégiés de fonctionnaires devant les ouvriers d’une usine pour, quelques jours plus tard, insister lourdement sur le rôle essentiel de ces travailleurs du secteur public. Enterrer la police de proximité pour la remettre en place un peu plus tard. Défendre mordicus la laïcité pour ensuite dire que la France est catholique.

Le plus cruel, c’est que cette stratégie mise sur l’anosognosie de tout un peuple, sur le manque de mémoire à moyen et long terme de citoyens qui seraient tellement plongés dans l’immédiat, dans la succession d’historiettes que l’on leur sert, qu’ils en oublieraient tout ce qui s’est passé la veille.

Enfin, la fausse métamorphose est le signe même du néant, du vide absolu. Elle est la démonstration que dans le plan initial il n’y avait aucune vision, aucun cap, aucune anticipation, aucune conviction, aucun programme réel (quémander 300 propositions une fois élu semble révélateur du vide sidéral du programme politique dudit candidat) ; aucune compassion qui ne fût feinte ; aucune culture (non, il ne suffit pas d’enchaîner des fiches de lecture), aucune idée même de la fonction de président (non, on ne s’installe pas sur le yacht d’un puissant industriel fraîchement adoubé ; non, on n'insulte pas son peuple, quand bien même il se montre désagréable à votre endroit ; non, on ne mange pas au Fouquet’s avec des grands patrons ; non, on ne dit pas encore une fois « J’ai changé » pour faire croire que l’on a enfin pris conscience de la fonction à laquelle on a été élu).

C’est un cas à la limite de la pathologie : croit-il vraiment tout ce qu’il raconte ? Il doit alors passer de sacrés bons moments en désaccord avec lui-même, car cela fatigue d’être perpétuellement en transformation, d’être une chrysalide qui porterait d’infinis papillons, d’être un caméléon qui prendrait  la couleur que vous préférez, un kaléidoscope qui vous perdrait dans les méandres de ses contradictions, une glace qui prendrait instantanément votre goût favori avant de passer à d’autres langues.

Mais n’oublions jamais que quelle que soit la transformation qu’il effectue, le vide reste toujours du vide.

 correge_jupiter_et_io.png

Le Correge, Io et Jupiter, 1531 

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