Les égarés, les frondeurs et les autres...
Or donc, le premier ministre de la France vient de qualifier d'égarés les Jeunes Socialistes qui ont osé écrire un communiqué critiquant la mesure de déchéance de nationalité. Après avoir taxé de frondeurs les rares socialistes qui avaient de maigres velléités 'de gauche', cela devient une habitude de traiter ceux de son propre camp d'ennemis de l'intérieur.
Cependant, quelques anciennes figures du mouvement se réveillent et n'hésitent pas à tancer le premier tribun, pour tenter de lui rappeler combien une telle mesure en plus d'être inefficace, serait catastrophique sur le plan politique. Pierre Joxe se réjouit du sursaut des Jeunes Socialistes : « Non seulement ces Jeunes Socialistes ne s’égarent pas, mais ils donnent le bon exemple, un exemple saisissant. Dans un texte vibrant d’indignation contenue, ils montrent qu’ils ont parfaitement assimilé les aspects juridiques les plus ardus de ce dossier complexe. »
Et de rappeler que François Hollande, en 2010 avait vertement critiqué la proposition de Nicolas Sarkozy de déchoir de la nationalité française certains concitoyens : « L'ex-Premier secrétaire du PS François Hollande a estimé aujourd'hui que la déchéance de la nationalité, dont Nicolas Sarkozy veut étendre l'application, était "attentatoire" à la "tradition républicaine" et nullement "protecteur pour les citoyens"."Est-ce que ça va améliorer en quoi que ce soit la protection et la sécurité de nos concitoyens? En faisant une déchéance pour tel ou tel individu en nombre limité, on va permettre à ceux qui sont exposés aux agressions tous les jours d'être davantage protégés?", a demandé François Hollande sur France 5. »
L'enjeu, c'est quoi ?
Mais en fait, que cherchons-nous à faire ? Quel but poursuivons-nous ?
L'enjeu c'est arrêter la vague de terrorisme qui ne cesse de s'amplifier et qui a, pour l'instant, culminé avec les attaques tous azimuts du vendredi 13 novembre. Faire croire que menacer ou sanctionner un terroriste de déchéance de la nationalité française pourrait aider en quoi que ce soit cet objectif est une fable abracadabrantesque. Imaginez ne serait-ce qu'un instant un djihadiste trembler à l'idée de perdre la nationalité française ou, mieux, renoncer à un projet d'attaque par peur de cette mesure... Non, décidément, il y a quelque chose de pourri au royaume des idées de lutte contre la terreur. Personne ne s'y trompe, ceux qui le proposent parlent d'ailleurs de mesure symbolique. L'ancien juge anti-terroriste, Marc Trévidic, ne dit pas autre chose et imagine un casse-tête bien ennuyeux : « Imaginons qu'un autre pays, par exemple le Maroc, vote un texte similaire. Une personne y aura passé toute sa vie et, d'un seul coup, le Maroc nous l'envoie car également français. On n'exporte pas un terroriste ! Que se passera-t'il si l'Algérie, les États-Unis nous adressent des déchus ? Allons-nous les accepter ? Le Royaume-Uni est en train de réfléchir à une réforme analogue. Que va-t-il advenir des franco-britanniques dans cette situation ? »
Source :http://www.lavoixdunord.fr/region/decheance-de-nationalite-marc-trevidic-sommes-nous-ia0b0n3238306
L'effet boomerang sans effet sur le but recherché : on rejette des terroristes, d'autres pays nous en renvoient, et dans le même temps, aucun ne refuse à ses projets meurtriers.
Mais ce sont ceux qui critiquent cette mesure qui s’égarent, bien sûr.
Quelles mesures 'non-symboliques' ?
Ouvrons donc les yeux. Si l'enjeu est d'éradiquer Daech et stopper le terrorisme sur le territoire français, voici les solutions que l'on entend le plus communément pour y parvenir :
- affaiblir l’État Islamique en attaquant ses ressources financières,
- répondre efficacement à la propagande via les réseaux sociaux (voire interdire tous les sites et comptes liés au djihadisme)
- bombarder avec une coalition unie et solidaire mais avec un appui au sol pour reprendre les territoires et les garder
- mettre en garde les alliés objectifs de l'EI
- préparer l'alternance politique dans les pays exsangues (là, bonjour le boulot!)
- s'appuyer sur les organes de renseignements en France,
- leur donner un maximum de moyens pour parvenir à endiguer en priorité tous ceux qui sont fichés et repérer les autres (en infiltrant des réseaux, en investissant un terrain que l'on a à tort délaissé)
- échanger des informations avec les autres pays engagés dans cette lutte et se coordonner
- exiger une autorité religieuse musulmane unique sur laquelle s'appuyer pour cadrer et former les imams (déjà tenté mais bien loupé!), avoir un message clair sur la façon de vivre la religion musulmane
- avoir une cellule de déradicalisation crédible, au point et très surveillée
- proposer une 'contre-propagande' à la hauteur des défis que posent ces jeunes sans autre rêve que de se battre contre leur propre pays parfois : internet est la clé de la radicalisation, elle peut être son antidote
- envisager des mesures d'exil ou de bannissement, comme il y a très longtemps, mettre en place de réelles peines de prison à vie (ou rouvrir le débat sur la peine de port pour fait de terrorisme, mais alors là, bon courage pour avoir un débat apaisé sur le sujet)
- faire comprendre aux jeunes un peu perdus, très influençables, que la République peut offrir une vie honorable et digne d'être vécue (bon, là, va falloir aussi revoir le libéralisme fou en Europe et dans le monde, le partage des richesses... : le changement c'est maintenant qu'il disait!) ...
C'est cocasse, à aucun moment la déchéance de nationalité ne pourrait être intégrée à cette liste non-exhaustive pourtant.
Pourquoi? Parce que ces terroristes sont Daechiens de nationalité et se contrefichent d'être déchus. Ils luttent pour étendre le territoire du califat; ils ont fait le deuil de la France, de l'Europe, de la laïcité, de leur propre vie terrestre. Cette déchéance, cela va arrêter qui concrètement ? Personne, c'est là qu'est l'os. D'ailleurs, ils se fichent de mourir, ils sont déjà morts et pensent même être récompensés pour leur sacrifice. Déchoir les binationaux c'est vraiment une réponse dérisoire à un problème de fond.
Oui, c'est sûr, ça soulage de pouvoir dire à ces fous : 'Eh ben t'as gagné, tu ne seras plus Français'. Peut-être même que ça permettra de limiter les déplacements dans notre pays, ce sera plus difficile pour eux si les règles d'entrée sur le territoire sont durcies. Si ce n'est qu'une mesurette-gadget dans un arsenal de solutions solides, pourquoi pas, mais là, on en fait une solution crédible à nos problèmes, ou plutôt, cela fait l'objet d'une stratégie politique visant à affaiblir la droite en piquant des idées clairement exigées par l'extrême droite. Un sombre calcul politique...
On perd un temps fou à débattre de cette mesure 'symbolique', pendant que d'autres affûtent leurs plans, préparent les nouvelles attaques, étudient tous nos points faibles. C'en serait risible si ce n'était pas dramatique.
De plus, nous apprenons que nombre de policiers et gendarmes frisent le burn-out d'être trop sollicités depuis le mois de janvier 2015, avec des rotations infernales depuis l'état d'urgence. En fait, tout est très inquiétant, et faire croire que la déchéance de nationalité apporte une quelconque solution aux problèmes que nous avons, est un égarement majeur.
Après la seconde guerre mondiale, acmé de l'horreur absolue, y a-t-il eu un débat pour déchoir de leur nationalité les bourreaux binationaux ?